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Pour notre fils, Senne

Le jour où on a appris que notre fils, Senne, avait une anomalie cardiaque grave, c’était lors de la 2e écho morpho. Le seul souvenir que j’ai gardé des explications des gy... Lire plus

Le jour où on a appris que notre fils, Senne, avait une anomalie cardiaque grave, c’était lors de la 2e écho morpho. Le seul souvenir que j’ai gardé des explications des gynécologues est un trop plein d’informations floues qui m’agressaient. Nous étions tous les deux, le papa et moi, extrêmement calmes, elles pensaient que nous n’avions pas compris. Pourtant j’avais parfaitement compris : mon fils que j’attendais depuis si longtemps et que je portais avec tant d’amour n’avait qu’un demi cœur qui fonctionnait. Il ne pourrait pas survivre sans chirurgie lourde. J’avais parfaitement compris que mon projet de naissance s’écroulait devant moi, ainsi que toutes les images et projections que je m’étais faites sur ce petit être qui me rendait si heureuse et fière. En quelques secondes, nous nous retrouvions anéantis, dévastés.

Nous avons alors pris rendez-vous avec un cardio-pédiatre qui nous confirma le diagnostic : Senne avait une hypoplasie du ventricule gauche, un canal atrioventriculaire unique et une coarctation de l’aorte. Rien que ça. En clair, les interventions qu’il devrait subir, au nombre de 3, étaient extrêmement complexes et la possibilité de complications, avant, pendant ou après les opérations, étaient énormes. Cette cardiopathie étant souvent liée à un handicap, le médecin nous a conseillé de faire une ponction amniotique afin d’en savoir un peu plus. Il nous a également parlé de l’IMG (interruption médicale de grossesse) à laquelle nous avions droit. Mon compagnon et moi nous sommes décidés rapidement : si notre fils n’était pas handicapé, nous lui donnerions toutes ses chances, l’opportunité de se battre pour vivre.

Deux semaines avant de faire la ponction, un mois à attendre les résultats génétiques, ça nous paraissait tellement long, je n’en pouvais plus de stress. Je faisais mon possible pour pouvoir apprécier ma grossesse au maximum, malgré tout. Lorsque les résultats sont tombés, nous avons sauté de joie : Il n’était pas handicapé, il viendrait au monde. Enfin, une lueur d’espoir. On nous a fait visiter l’hôpital, les unités où nous resterions pendant plusieurs semaines, mais ça nous paraissait loin et nous savourions notre victoire. Il me restait deux mois avant d’accoucher et j’avais décidé de m’enfermer dans une bulle de bonheur et de profiter de chaque instant comme si c’était le dernier. Littéralement. On était si bien, tous les deux, à partager mon ventre. Être enceinte de lui me comblait de joie. J’avais toujours trouvé un peu bateau que les jeunes mamans disent ça, mais : le jour de l’accouchement a réellement été un des plus beaux jours de ma vie. Il ne s’est pas du tout déroulé comme je l’aurais voulu initialement, mais l’équipe médicale qui nous accompagnait a été formidable, ainsi que mon compagnon et surtout notre petit Senne. Je n’ai pu le prendre contre moi que quelques minutes avant qu’ils ne l’emmènent en observation, mais j’ai gardé de ces moments une telle puissance dans le lien qui nous unissait, une telle tendresse dans les regards que nous avons échangé tous les deux !

Les semaines qui ont suivi ont été étranges, à la fois atroces, aberrantes et merveilleuses. Je découvrais mon bébé, la joie d’être maman, je débordais d’amour, de bonheur, mais aussi d’une angoisse terrible et d’impatience que tout ça se termine. Je me souviendrai toujours de ce sentiment d’horreur absolue au moment où les portes de la salle d’opération se sont refermées sur mon bébé la première fois, quelques jours après sa naissance. Dix longues et intolérables heures plus tard, la chirurgienne nous a appelé pour nous dire que tout s’était bien déroulé. Une nouvelle lueur d’espoir. Il était intubé en permanence, nous n’avons donc jamais pu entendre sa voix, mais nous pouvions le prendre dans nos bras, avec beaucoup de prudence et peu de mouvements autorisés, mais ça suffisait à notre bonheur. Il était souvent éveillé, de bonne humeur, il avait de grands yeux curieux et attentifs, parfois sérieux, parfois canaille. On lui a chanté des dizaines de chansons, on l’a lavé, on l’a changé, je lui ai lu des histoires, fabriqué des origamis pour pendre au-dessus de son lit.

Le temps passait, mais il ne pouvait toujours pas respirer tout seul. Combien de fois les médecins ont-ils essayé de l’extuber, combien de fois nous sommes nous écroulés dans les bras l’un de l’autre, son papa et moi, à bout, parce que notre lueur d’espoir s’amenuisait ? Pourtant, on profitait toujours énormément de lui.

Une deuxième opération a alors été organisée dans l’espoir de faire évoluer les choses. J’imaginais les docteurs penchés au-dessus de son cœur ouvert, arrêté, ça me donnait la nausée de me sentir si impuissante. Il est revenu de l’opération à nouveau sain et sauf, mais les jours de convalescence se transformèrent en semaines et Senne n’allait toujours pas mieux. Puis, tout s’est enchaîné à une vitesse folle, son état s’est soudainement détérioré très rapidement et les cardiologues ont alors découvert qu’une suture s’était détachée sur son cœur. Il fallait réopérer une troisième fois en urgence.

Senne ne s’est simplement jamais réveillé après la 3e intervention. Les docteurs ont constaté dans les heures qui ont suivi une baisse de l’oxygène dans son sang assez importante. On a eu alors une discussion très difficile avec l’équipe médicale : ils étaient à court d’options pour aider notre fils et ses organes lâchaient, les uns après les autres. Mon compagnon a fait un malaise tellement le choc était dur à encaisser. Moi je me tenais là, raide, vidée. La seule chose que je souhaitais était qu’il ne souffre pas. Nous n’avons pas dormi pendant plusieurs jours d’affilée, ou presque. Nous somnolions à ses côtés, incapables de comprendre ce qu’il nous arrivait. A cet instant, on vivait chaque minute intensément sans être capable de penser à la suivante, toute notre énergie était canalisée vers une seule chose : notre enfant.

Nous nous étions assoupis la nuit d’après lorsqu’une infirmière nous a réveillé pour nous dire très doucement : « il est en train de mourir ». Elle m’a installé Senne dans les bras, peau contre peau, mon compagnon tout près de nous. Et son rythme cardiaque qui, quelques instant auparavant, était en train de chuter a ralenti pour se mettre à descendre lentement. J’avais l’impression qu’il se battait de toutes ses forces pour nous offrir encore quelques heures ensemble. Un médecin est passé tôt le matin pour venir nous dire qu’au vu des résultats des dernières analyses il faudrait sans doute le débrancher. Nous étions assommés, je n’avais jamais connu une souffrance aussi intolérable, de ma vie entière.

Aujourd’hui, je me sens tellement reconnaissante envers mon fils : il nous a permis de passer ses dernières heures ensemble, en famille et finalement nous n’avons jamais eu à prendre la décision de le débrancher. Il est mort paisiblement, dans mes bras et à son rythme pendant que son papa et moi lui faisions des doudouces et lui racontions à quel point nous étions fiers de lui, à quel point nous l’aimions. Dans notre malheur, je dois dire que nous avons eu la chance de nous  retrouver soutenus par les gens que nous aimions ainsi que par une équipe médicale formidable, très humaine.

L’infirmière qui s’était occupé de Senne ce jour-là nous a alors proposé d’appeler des photographes bénévoles d’Au-delà Des Nuages afin de faire une séance photo. J’avais mon bébé décédé dans les bras, je n’aurais probablement jamais pensé de moi-même à faire des photos. Nous avons accepté, plus parce qu’on nous le proposait que parce qu’on y avait vraiment réfléchi. On a pu lui donner un bain, son papa et moi, avant de l’habiller avec ce que nous avions sous la main, le faire tout beau. Entre temps la photographe, ainsi qu’une stagiaire, était arrivée. Elle est rentrée dans la pièce, nous a offert un grand sourire lumineux et nous a félicité pour notre si joli bébé, et alors que les visages de tout le monde traduisaient une affolante tristesse, ces deux femmes ont réussi à me faire sourire de fierté. C’est vrai, notre bébé était magnifique, je ne devais pas l’oublier. Il avait été vivant, il avait compté, et leur façon d’être nous le rappelait. Elles nous ont demandé si nous souhaitions des photos en particulier. Nous ne savions réellement pas, moi j’étais envahie par un énorme vide qui me plongeait dans un immense silence intérieur. Alors elles se sont lancées, avec beaucoup de douceur se sont fait oublier, papillonnant autour de nous très discrètement, elles ont réussi à obtenir des clichés de notre famille absolument magnifiques, de temps en temps elles proposaient quelque chose, une position, un détail, une idée. Nous nous laissions faire. Je me souviens de l’infirmière qui nous a dit doucement qu’il valait mieux avoir ces photos et ne jamais les regarder, plutôt que de ne pas en faire et de le regretter un jour.

A l’heure où je vous écris, c’est encore douloureux pour moi de les revoir. Mais je me souviens de cette séance comme d’un moment privilégié, hors du temps, qui nous a permis de commencer notre deuil, petit à petit. Ca nous a aidé à lui dire au-revoir, à le laisser partir. Les photographes étaient si douces, pleine de tendresse pour nous, elles n’avaient pas peur de son petit corps raide et froid, ça nous rappelait que c’était Senne, notre fils, et que le reste n’importait pas. Elles nous disaient des choses qui nous ont fait tellement plaisir, que nous étions une belle famille et que nous avions l’air heureux, qu’il avait dû être si heureux de nous avoir comme parents. Dans le tourbillon d’émotions de cette journée-là, qui en annonçaient beaucoup d’autres à venir, nous leur avons été très reconnaissants de passer ce temps-là avec notre fils. De créer une sorte de pont entre l’avant et l’après. Rien ne nous rendra jamais notre bébé, mais ça nous a apporté une douceur qui nous a fait du bien, à cet instant qui n’appartenait qu’à nous et qu’elles ont pu immortaliser.

Tous les jours, je pense à Senne. A mes proches qui ont fait et font encore de leur mieux pour nous soutenir. A ces infirmières et ces médecins qui sauvent des vies, souvent. Je pense surtout aux vies qu’ils ne peuvent pas sauver. Aux parents qui vivent ce que nous avons vécu. Et à ces photographes qui offrent la première main pour tenter de se relever, alors qu’on vit une horreur sans nom. A tous, je voudrais leur dire merci. Pour nous, et pour notre fils.

 

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