Merci de m’avoir permis de vous offrir ces photos. Permettez-moi, malgré tout, de vous féliciter pour votre magnifique fille !
Les portes de l’hôpital s’ouvrent, je ne me sens pas très à l’aise. Je ne me suis jamais sentie ainsi auparavant. On est en période de coronavirus. Quelque chose ne me semble pas correct, voire même malsain.
“Bonjour, avez-vous un rendez-vous ?”
Un gardien de sécurité me pose la question. Les visites sont interdites à l’hôpital, il veut savoir ce que je viens faire.
“Je suis de l’association Au-delà Des Nuages”. Il me regarde bizarrement et je me rends compte qu’il ne connaît pas l’association. “Nous faisons des photos de bébés décédés, je suis attendue à la salle d’accouchement.” Il m’a l’air un peu surpris mais me montre les ascenseurs et m’indique le chemin vers le deuxième étage.
Le stress augmente quand les portes de l’ascenseur se ferment devant moi. Même après avoir fait plusieurs séances, le stress revient à chaque fois.
J’espère ne rien dire de mal ? Est-ce que je les félicite tout de suite ou est-ce que j’attends un peu ? Est-ce qu’ils verront que je suis un peu stressée ? J’espère que non.
Les portes s’ouvrent et je vois l’accueil du service devant moi. Une adorable sage-femme vient vers moi, elle m’accompagne vers la salle d’accouchement.
“Les parents sont très secoués. Olivia est avec eux dans la chambre, mais ils n’osent pas la prendre dans les bras. Olivia est décédée dans le ventre de maman. C’était très inattendu. L’accouchement a pris beaucoup de temps aussi. ” J’apprécie énormément que les sages-femmes prennent un peu de temps pour expliquer la situation. Ça me calme et me donne l’occasion de me préparer à la séance photo.
Je me répète mais même après avoir fait plusieurs séances, le stress revient à chaque fois…
Des parents secoués… Ils le sont toujours, mais parfois nous avons l’occasion de parler un peu, d’utiliser un peu d’humour, de montrer un petit sourire. Je frappe à la porte.
“Bonjour, je suis la photographe d’Au-delà Des Nuages.” Je souris derrière mon masque, mais je suppose qu’ils ne le voient pas. Les parents me disent bonjour. Près de la fenêtre, je vois le petit lit. Olivia s’y trouve entourée de plusieurs doudous. “Je peux ?” Hésitante, je pose la question aux parents, pour voir si je peux m’approcher pour admirer leur fille. Ils me disent oui. Je dépose mon sac et avance vers la fenêtre. Une petite fille avec beaucoup de cheveux, enveloppée dans la plus belle des couvertures. Waouh… “Elle est magnifique.”
Je vois que ma phrase fait plaisir à maman. Elle est vraiment magnifique. “Est-ce que vous avez quelque chose en tête ? Des images que vous aimeriez vraiment avoir ?” Ils me disent non. Les parents se posent rarement la question de quel genre de photos ils aimeraient avoir. Je cherche un espace près de la fenêtre, un endroit avec beaucoup de lumière du jour. Je prends quelques couvertures, mais je commence par quelques photos dans son lit. “Est-ce que je peux la prendre ?” Les parents sont d’accord, mais j’entends que maman pleure. “Bonjour toi, belle petite fille, aujourd’hui, je vais faire de belles photos de toi.”
Je la dépose sur une couverture ultra douce, à côté d’elle, je forme son nom avec des lettres en bois que j’ai prises avec moi. Dans sa main, je pose une petite étoile. “Elle a de longs doigts” dis-je. “Oui… nous sommes très grands aussi.” “Est-ce qu’elle a des frères ou sœurs ?” “Non, elle aurait été le premier petit-enfant dans la famille et maintenant nous décevons tout le monde.” Maman pleure encore plus.
Je dépose mon appareil et m’assieds à côté de maman sur le lit. “Olivia est le premier petit-enfant. Elle sera pour toujours votre premier enfant, votre première fille. N’oubliez jamais cela. Personne n’a choisi cette situation… ce n’est pas de votre faute.” Maman me fait signe, elle est d’accord avec moi, mais continue à pleurer.
“Est-ce que vous voulez que je dépose Olivia à côté de vous ?” Elle hésite, regarde sa fille et puis son mari. “Je ne sais pas.” Papa s’approche d’Olivia et caresse sa joue. J’en profite pour prendre quelques photos. “Moi je veux bien la prendre” dit-il. Mon cœur se remplit, contente que papa soit d’accord. Je prends la petite et la dépose dans les bras de son papa. Il pleure.
“Ça va papa ?” Il me fait signe que oui. “Bonjour ma belle. Bonjour ma belle petite fille. Qu’est-ce que tu es belle. Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi nous ? Qu’est ce que nous avons fait de mal ?” Il donne plein de bisous à sa fille et lui dit des mots tout doux. “Je voulais t’apprendre tellement de choses, te donner plein de câlins, te chatouiller, te balancer,… Nous avions tant de projets.”
Ce moment est tellement triste et beau en même temps …
Les larmes me montent aux yeux et j’essaie de penser à autre chose. Entre temps, je me cache derrière mon appareil et je prends beaucoup de photos, car ce moment est tellement triste et beau en même temps. Papa s’assied à côté de maman et tient leur fille entre eux. Maman caresse les cheveux de sa fille. “Qu’est-ce qu’elle est belle.” Maman est toute fière. “Regarde, elle a ton nez. Je ne sais pas si c’est une bonne chose.” Et elle sourit. Nous rigolons à trois et pour la première fois, je vois briller les yeux des parents. Maman soupire. “Je ne l’avais plus sentie bouger depuis le matin, mais nous n’avons pas trouvé le temps de venir plus vite à l’hôpital. Nous avons qu’une seule voiture et je devais attendre le retour de mon mari. J’aurais dû venir plus tôt. Peut-être qu’elle serait encore vivante. Ou j’aurais dû me reposer plus souvent. J’ai sûrement fait trop d’efforts ces derniers jours. Ou peut-être que la gynécologue aurait dû voir qu’il y avait quelque chose ? Elle aurait peut-être pu le voir à l’écho ?”
Pendant qu’elle cherche une raison à la mort d’Olivia, elle tient les deux mains de sa fille et les caresse. Je ne peux pas répondre à toutes ses questions. Souvent la raison est inconnue et personne n’est coupable de la mort du bébé. Même si j’espère que ces parents recevront tout de même des réponses. Cela ne soulagera peut-être pas leur peine mais ne pas avoir de réponses rendra une prochaine grossesse encore plus difficile.
Je continue à prendre des photos. Des mains, des pieds, ses cheveux, son magnifique visage, maman et papa ensemble,…
“Je veux la tenir dans mes bras.” Maman a changé d’avis. Je lui dis que c’est très courageux de sa part. “Je vous promets que vous n’allez jamais regretter ce moment.” Je ne montre rien, mais je suis tellement contente d’avoir réussi à les faire franchir ce pas. Du temps, des pauses, écouter, ressentir et faire confiance. Papa dépose Olivia dans les bras de maman. “Elle sent bon.” Maman met son nez dans les cheveux de sa fille, elle respire et la serre très fort contre elle. Je vois qu’ils sont soulagés et je profite de ce magnifique moment d’amour. Je prends encore quelques photos d’eux et petit à petit je dis au revoir.
“Merci de m’avoir permis de vous offrir ces photos. Permettez-moi de, malgré tout, vous féliciter pour votre magnifique fille.” Les parents sourient.
“Merci beaucoup, vous êtes la première personne à nous féliciter.”
C’est un grand honneur. Un honneur de pouvoir rentrer dans le petit cocon des parents. Dans leur cocon rempli de tristesse, fierté et amour. Beaucoup de personnes ont peur de franchir ce pas, mais pour nous c’est un moment qui donne énormément de satisfaction. Chaque histoire est unique, chaque bébé est différent, chaque parent réagit d’une autre façon, mais il y a toujours de l’amour. L’amour prend le dessus, et là où il y a l’amour, il y aura les larmes. Et oui, c’est ok de pleurer, rigoler, faire des câlins, rencontrer, sentir, apprendre à connaître avant de laisser partir. Ce serait tellement injuste et terrible de ne pas pouvoir admirer son enfant avant de devoir lui dire au revoir. De ne jamais avoir pu sentir ce que ça fait d’être devenu maman et papa. Le regard de l’amour éternel d’une mère pour sa fille, la fierté d’un papa envers son fils, les câlins d’une grande sœur pour son petit frère, les photos de famille tellement uniques… En tant que photographe d’Au-delà Des Nuages, nous avons qu’une seule chance pour capturer ces moments.
Une photographe d’Au-delà Des Nuages et fière de l’être