Mon petit Gabriël,
Tu étais tellement désiré par ton père et moi-même, je me rappelle le jour où mon test de grossesse est devenu positif fin février 2024, nous étions si heureux.
Nous avions attendu les trois mois pour l’annoncer à tout le monde, pour que cela soit sûr cette fois-ci après la première échographie de datation où l’on t’avait bien vu en forme de petit haricot tout mignon.
Les premiers maux de la grossesse n’ont pas été faciles pour moi mais très vite, j’ai dépassé le cap des 3 mois.
Ensuite est venue l’échographie du premier trimestre, nous étions contents de la faire et de revoir bébé.
La gynécologue fait l’échographie, fait le tour des membres du bébé quand soudain celle-ci commence à avoir le regard froid et nous dit d’emblée que la clarté nucale est trop épaisse par rapport aux normes. Elle nous propose de faire une amniocentèse mais nous refusons demandons s’il n’y’ a pas une autre possibilité.
La gynéco se renseigne dans le service, revient vers nous et après réflexion, nous propose avec notre accord de me faire une prise de sang, la DPNI pour la recherche des 3 trisomies, 21,13 et 18. Une semaine plus tard, la prise de sang revient négative à notre plus grand bonheur !
Les mois passent, on arrive enfin à se projeter, je ressens enfin tes mouvements par des bulles mon petit cœur, papa aussi, nous sommes les plus heureux, mon ventre commence à s’arrondir également.
Nous avons refait une échographie de contrôle pour voir si tout allait mieux, et ils n’ont rien trouvé.
Et enfin, nous avons pu connaître ton petit secret, tu es un petit garçon, un grand bonheur pour ton père quand il a su la surprise, il était si heureux et moi aussi même si j’aurais voulu une fille.
Les semaines passèrent et nous commençons les premiers achats pour toi mon amour, nous avons trouvé ton lit douillet, des petits achats avant de faire les soldes cet été.
Juillet arrive, la deuxième échographie (T2), nous étions si impatients de te revoir.
On arrive à l’échographie, une interne nous appelle, et entrons dans la salle, on voit le gynécologue, c’est un homme cette fois.
L’interne commence par me poser le gel pour passer l’échographie, fait le tour de ta personne, de tes membres ainsi que le cerveau, le médecin prend le relais et zoome sur le cerveau en plusieurs fois. Ton père et moi, on voyait bien qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas.
Le gynécologue commence à nous dire qu’il y a un souci et nous explique le cas. Il nous fait venir dans son bureau et il nous fait un dessin afin que l’on comprenne mieux. Il s’avère qu’il te manque une partie importante du cerveau, le corps calleux. Tu as une « agénésie du corps calleux », c’est une malformation du cerveau qui correspond à l’absence du corps calleux, sorte de pont reliant entre elles les hémisphères des deux côtés du cerveau et permettant le passage de l’information d’un côté à l’autre.
Une fois l’annonce faite, j’éclate en sanglots comme ton père, je ne peux me retenir, le corps médical nous fait patienter en salle d’attente.
Une infirmière du service revient vers nous et nous propose de passer lundi à la première heure une amniocentèse et nous laisse digérer l’annonce, réfléchir et voir avec eux pour la suite.
Suite à cette annonce non n’avons pas les mots, nous sommes dépités, nous n’arrivons plus à nous projeter, on t’aimait déjà si fort, je prie, pleure depuis l’annonce, j’ai mal au cœur, mais ton père et moi restons soudés l’un à l’autre, il faut encore une fois être forts.
Le lendemain de l’annonce n’est pas vraiment un autre jour. J’ai l’impression d’avoir basculé dans un jour sans fin.
Je n’ai quasiment pas dormi de la nuit et pourtant le réveil est une torture.
Non, ce n’était pas un cauchemar, c’est toujours vrai.
Je me réveille comme je me suis effondrée de fatigue, avec ces mots qui résonnent en boucle dans ma tête « agénésie du corps calleux ».
C’est comme une agression permanente. Je n’arrive pas à faire taire cette voix qui me répète sans cesse ces mots qui n’ont aucun sens pour moi.
Quand ces mots sont traumatisme.
Ce réveil est d’une violence sans nom, je ne me sens plus tout à fait vivante et pourtant je ne suis pas morte.
J’ai appelé une amie, « j’ai l’impression que tout sera pour toujours différent ».
Je peux le dire aujourd’hui, oui tout a changé et rien ne redeviendra comme avant.
Je suis là à pleurer en silence, d’une reconnaissance éternelle d’avoir mes animaux autour de moi et anéantie de sentir mon bébé bouger dans mon ventre en sachant qu’il ne bougera jamais dans mes bras.
Tout mon corps me fait mal. Le chagrin est tellement grand dans la tête qu’il s’empare de tout le corps. Il se diffuse dans chaque cellule.
Me vient alors cette phrase qui envahira mes pensées presque autant que le diagnostic : porter la vie, donner la mort.
Comment cela est possible ? Passer de la plus douce et puissante réalité à la plus cruelle et violente ?
Ce jour-là, il nous reste peu d’espoir. Une partie irrationnelle de moi se dit que l’échographiste s’est peut-être trompé.
Et puis il y a cette autre partie qui dès la sortie de la maternité a senti le pire arriver. Et puis j’ai commencé à me renseigner et ce que j’ai lu sur internet ne m’a pas rassurée. Malgré cette porte sur l’horreur qui s’est ouverte, il faut vivre.
Je m’occupe de mes animaux mais c’est trop dur, voir des familles avec leurs enfants, bébés dans la rue, dans les magasins, je ne peux plus les regarder. On sort quand même, on ne peut pas rester enfermés.
Je respire profondément. Je me dis que ce n’est pas possible. Je me laisse envahir par l’espoir.
Nous continuons les examens complémentaires prévus, j’ai passé une amniocentèse, nous attendons la suite. J’ai aussi passé une IRM fœtale et nous avons eu un rendez-vous avec une neuropédiatre à Brabois (54).
Mais nous demanderons à l’équipe médicale notre projet pour ton envol vers le paradis malheureusement.
Puis à l’accouchement te dirons un chaleureux au revoir, cette épreuve va être très difficile physiquement et émotionnellement encore une fois pour nous deux et bien pire qu’il y a trois ans quand on a perdu notre première étoile au premier trimestre de grossesse, tu partiras au troisième trimestre…
Mais sache que c’est la meilleure et la plus sage décision de te faire partir quand on y réfléchit bien, sinon qu’elle aurait été ta vie dans ce monde de brutes ? Déjà qu’elle est bien compliquée. Tu vivrais avec un handicap lourd, tu subirais des moqueries, des regards de haut par le monde, et nous ne nous voulons pas voir et assumer tout cela, j’espère que tu comprendras, le mieux c’est que tu rejoignes le paradis rejoindre tes arrières grands-pères, grand-mères.
Il va falloir à ton père et à moi être forts, plus forts encore et plus soudés l’un à l’autre ce qui permettra aussi de renforcer notre amour.
Une nouvelle fois encore, nous sommes des parents endeuillés, mais qu’est-ce qu’on a fait pour mériter ça ? rien du tout, c’est la faute à pas de chance disait le corps médical.
Au revoir mon fils, je t’aime, nous t’aimons très fort, repose en paix, mon petit cœur, veille sur nous.