Voilà des heures que ma page est ouverte, sans que je sache quoi y déposer.
Sans savoir pourquoi, 4 ans plus tard, je redoute encore un certain jugement et le plus brutal d’entre eux serait le mien.
J’ai longtemps pensé que j’avais dû jouer un rôle dans ton départ prématuré: “Quelle(s) personne(s) ai-je croisée(s), quelle poignée de porte potentiellement infectée ai-je touchée?”.
Je n’ai aucune réponse, malgré ton rapport d’autopsie, pour expliquer comment le virus nous a touchés, toi et moi.
Tout allait bien, tu bougeais dans tous les sens. Je guettais, le sourire aux lèvres, tes petits coups sur mon ventre.
Tous ces petits “Bonjour!” qui me signalaient ta présence et me faisaient prendre conscience, jour après jour, que j’allais devenir maman pour la seconde fois.
Bien à l’abri sous ma peau, protégé et aimé, tu ne risquais rien, et pourtant … le Covid nous a trouvés. Malgré les soins et le déploiement de l’équipe médicale, nous n’avons rien pu faire.
Quand je suis arrivée aux urgences, ton cœur avait déjà pris le large vers un horizon si loin de moi. 4 ans plus tard, la pandémie est derrière nous mais ton souvenir est, quant à lui, intact dans ma mémoire.
Tes cheveux noirs, ton petit visage, la manière dont tu avais ton pouce en bouche. Ce sont des souvenirs pleins de tendresse.
Le 24 avril 2021, à 27 semaines de grossesse, j’ai compris ce que l’expression “avoir le cœur brisé” signifiait car j’ai physiquement eu mal au cœur. Je sais aujourd’hui qu’on ne se remet jamais vraiment.
Les médecins m’ont dit qu’il faudrait apprendre à faire avec et j’ai mis du temps à comprendre … avec quoi ? La tristesse, la colère, la solitude, le malaise devant les gens. J’ai appris à faire avec mais surtout à faire sans un essentiel : TOI.
L’émotion me gagne en écrivant ces quelques lignes. Je peux revoir de manière très nette le déroulement de cette journée sans en avoir la notion temporelle, le décor de la salle d’accouchement, les yeux des infirmières, les visages masqués. Je me souviens de la tristesse et la douleur, les larmes qui m’étouffaient, la difficulté à reprendre mon souffle. Comment appeler ça? Une naissance? Est-ce vraiment une naissance si on ne donne pas la vie?
Il y a ensuite eu le lendemain matin, une sensation étrange qui a duré quelques secondes. Pendant ce bref instant, je ne savais pas exactement où j’étais, ni ce qui s’est passé. Où es-tu? Et tout m’est revenu.
Mon ventre toujours gonflé et terriblement vide. Je n’ai pas pu me rendre à la salle aux Etoiles en raison du risque de contagion. Alors cette infirmière, dont je n’ai vu que les yeux, est arrivée avec toi posé au creux de son coude. J’ai pu prendre le temps de te bercer, te parler, te dire aurevoir et surtout te dire à quel point je t’aime. Je lui en suis tellement reconnaissante.
A tous ceux qui vivent ces moments sans nom, je partage votre peine. J’espère sincèrement que la Vie pourra prendre le dessus, peut-être qu’elle l’a déjà fait.
A tous les Parent’Anges, je vous envoie de l’amour, de la compassion, de la résilience. Il n’est pas impossible d’être à nouveau. Quand je pense aujourd’hui à mon petit garçon, je ressens une vague de tendresse, un digne amour d’une mère envers son bébé. Mon très cher Isaac, tu es ma plus belle étoile.