Notre histoire commence le 30 juin : une simple visite chez le gynéco pour la T2, et l’annonce du drame.
Alors qu’on nous avait annoncé que tu serais une petite fille sans certitude, les prélèvements sanguins ont révélés que tu étais un petit garçon. Quelle joie pour nous d’avoir le couple, après ta sœur, avoir un petit garçon était le rêve pour notre famille ! Un rêve au quotidien, jusqu’à cette T2, où alors que le docteur fait la mesure de tous tes organes, il détecte un problème au niveau de ton cerveau, une hydrocéphalie, qui va nous anéantir et créer une onde de choc pour notre vie future.
Alors que notre gynéco arrive en urgence pour confirmer le diagnostic, le premier gynéco continue sa visite et découvre un autre problème : un spina bifida. Nous sommes anéantis, sous le choc, mais un espoir malgré tout. Une consultation à Bruxelles qui pourrait peut-être nous révéler que le premier diagnostic n’est pas le bon…
Voilà un weekend d’angoisse qui nous attend. Un weekend de questions, sans réponses, de recherches sur internet, pour voir quelles sont les possibilités, un weekend de pleurs et de stress.
Lundi 3 juillet, nous voilà en route pour Bruxelles, il fait gris, mais nous avons un petit espoir. La route nous paraît interminable, nous arrivons sur le parking, notre cœur bat la chamade. Nous avons peur, mais nous gardons espoir qu’ils se soient trompés. L’attente dans ce couloir froid et glauque est interminable, en fait c’est le sentiment que l’on a depuis cette annonce. Arrive notre tour, en clinique fœtale. Nous sommes pris en charge par une très gentille infirmière, mais aussi par la cheffe de service, ce qui nous rassure, afin de ne pas avoir à faire à un jeune docteur qui n’est pas sûr de ce qu’il voit.
Nous sommes prévenus que l’examen va être complet avant de nous expliquer ce qu’elle aura vu. L’ambiance est lourde, elle nous explique que ton cœur va bien, que tu as tous tes membres, mais aussi tous tes organes. Au moment de passer sur les problèmes suggérés, nous lui disons qu’un neuropédiatre est prévu afin de nous expliquer si la malformation est avérée. Elle prend instinctivement son téléphone et joint la cheffe de service de neuropédiatre. Décidément, des chefs pour toi, quel honneur. Elle ne met pas de gants lors de l’entretien téléphonique, mais arrive à nous avoir un rendez-vous dans l’après-midi. Une seconde gynéco est appelée pour confirmer ce qu’elle a vu. Celle-ci confirme son diagnostic et nous sommes invités à revenir à son bureau pour discuter. L’espace tourne, les bruits que nous captons sont inaudibles, sauf spina bifida, hydrocéphalie, pieds bots bilatéraux.
Une interminable attente nous rend à la cafétéria, l’appétit, les jambes coupées et déchiffrer toutes ces informations. Arrive le rendez-vous avec la neuropédiatre. Elle a connaissance du dossier, nous dit que les symptômes sont sévères, que tu ne marcheras sûrement jamais sans assistance (ça c’est le meilleur diagnostic), que tu seras incontinent à vie, mais que ton espérance de vie (inconnue) risque d’être un calvaire pour toi, comme pour nous tes parents et aussi pour ta grande sœur.
Nous sommes en état de choc, ce que nous apprenons, depuis ce vendredi, nous assène des coups que personne ne devrait encaisser.
Nous sommes de retour avec la gynéco, elle nous demande si nous avons tout compris. Nous lui répondons que oui (surtout ton papa, qui parle pour nous tous, car je n’ai aucune force de sortir un son de ma bouche). Même hurler m’est impossible, alors que c’est tout ce que je fais depuis 4 jours à l’intérieur de moi.
J’entends parler du fœticide, cette action qui t’enlèvera la vie, toi à qui nous avions décidé de la donner. Nous prenons rendez-vous, le 10 juillet (jour de l’anniversaire de ton Papi qui est au ciel). Le samedi, nous nous rendons à Ath pour tout mettre en place, prendre ces médicaments, qui mettront le col en off, c’est le début de ton voyage. Tout est mis en place pour ce fameux lundi, la sage-femme qui a accueilli ta sœur, accepte de changer son horaire pour t’accueillir et nous épauler au mieux. Lundi sous un ciel gris à nouveau, nous prenons la route de Bruxelles.
Tout le monde nous a accompagnés au mieux du weekend, tout le monde t’a dit au revoir, tout le monde est prêt. Sauf les médecins…
Après notre visite, alors que ton papa prenait la parole, ils se sont concertés et ont déduit que je n’étais pas prête, que je n’avais pas accusé le choc. Nouveau coup de massue. L’intervention ne se fera pas ce jour, je crie, je hurle, enfin j’arrive à extérioriser toute ma peine et ma colère, mais surtout mon désarroi.
Nous n’avons pas le droit de choisir ton jour de départ, alors que tout est déjà organisé avec les pompes funèbres, l’église, le crématorium. Je deviens hystérique.
Le docteur sonne à Ath et dit que l’intervention ne se fera pas ce jour. Nous voyons à sa tête que le ton monte à l’autre bout du fil. Elle lâche, normalement, “qu’elle ne fera pas cette intervention avec des menaces face à elle, et une arme dans le dos”. Bref, elle ne veut rien faire, mais toi, tu risques d’arriver en avance, et donc en vie, face à d’énormes souffrances…
Le ton redescend, elle nous demande si nous avons fait la reconnaissance de paternité. Non, car les documents ne nous ont pas été donnés. Elle nous annonce que si cela n’est pas fait, comme nous ne sommes pas mariés, tu n’auras pas le nom de ton papa. Nous reprenons la route, désemparés, mais avec cette impatience d’arriver à la commune pour te reconnaître.
Les services sont fermés, mais ton papa, ne veut rien entendre et use de ses relations pour être entendus. Le chef, encore un, de la population civile, nous reçoit dans son bureau, et ayant eu bruit de notre histoire, t’inscrit à l’état civil. Premier soulagement, mais aussi premier geste d’humanisme, depuis 4 jours. Nous rentrons et attendons impatiemment le jeudi, car oui enfin une date a été désignée, tu arriveras parmi nous le lendemain de l’anniversaire de ta nona.
Nous retournons aux pompes funèbres afin de lui expliquer notre histoire. Tout le monde à l’impression de vivre un scénario d’une série noire, curée comprise, mais non, c’est notre histoire.
Arrive le 13 juillet, nous partons sous un soleil radieux et si c’était ton signe pour nous dire que tu ne nous en veux pas. Je t’ai parlé ce matin, je t’ai dit que tout irait bien, que tu ne souffrirais pas, qu’on ne serait jamais loin l’un de l’autre. Nous arrivons à Bruxelles, les minutes défilent. Arrive notre tour, nous lui demandons de te voir une dernière fois.
Tu es paisible, on dirait que tu dors. Mon dieu, comme tes traits ressemblent à ta sœur. Tu nous fais signe, et la caméra s’arrête. L’injection commence. Les minutes qui suivent, nous sommes enlacés avec ton papa, une lueur jaillit dans la pièce, te voilà parti, soulagé. Nous reprenons la route pour Ath, nous sommes accueillis dignement, dans la douceur et le respect. Ils me donnent les premiers cachets pour entamer le travail. Nous sommes en début d’après-midi. Il fait beau. A la deuxième prise de médicaments, le jour commence à tomber. Je demande un cocktail pour me soulager, les contractions s’intensifient. Ton papa appelle la sage-femme, avec toutes ces péripéties ce ne sera pas celle prévue, mais une qui a accepté cette mission, de te mettre au monde. Elle m’osculte, tu es en train de venir. Te voilà parmi nous, ton papa coupe le cordon, lui qui ne voulait rien voir, s’est à nouveau mis au premier plan, car il ne voulait pas ne pas te voir à ton arrivée. Il me réconforte, me rassure, me dit que tu es paisible et beau! J’accuse le coup et veux te serrer dans mes bras. Tu es là, pour très peu de temps, mais tu es bien là. Du haut de tes 36 cm et tes 915 grammes, tu nous inonde de fierté, tu es si beau. Tu t’appelles Achile et tu as mis beaucoup d’amour autour de toi! Nous te préparons des funérailles à ta hauteur, et tout le monde nous accompagnera pour ton dernier voyage. Nous voudrions remercier la maternité des dix lunes pour leur empathie et leur dignité, et aussi et surtout Jessica la photographe d’Au-delà Des Nuages. Celle-ci a postposé son départ en vacances car notre histoire l’a touchée, mais aussi car c’était avec elle que nous devions faire nos photos de famille, lors de ton arrivée au monde.
Ta maman.